• Man's Non-No : décembre 2009

    Publiée dans le magazine Man's Non-No en décembre 2009.

     

    Cela fait exactement 10 ans que la série animée a débuté et le 12 décembre sort le dixième film pour lequel vous avez participé à l'histoire pour une fois, c'était comment ?

    Au début, j'ai catégoriquement refusé. Je suis le genre de gars qui ne peut s'occuper que d'une chose à la fois et faire face à la fois au manga et à une autre histoire était tout simplement impossible. Je sais cela sur moi-même et je leur ai demandé de me laisser en dehors du projet, mais le producteur qui a été bon avec moi dans le passé ne cédait pas et j'ai donc exposé mes conditions et dit que si Mr Children chantait le thème principal alors je le ferai. (Rires)

    Alors que probablement avec votre charge de travail déjà élevé avec le manga c'était bien plus difficile n'est-ce pas ?

    Je pensais que j'allais mourir à coup sûr. Même en dessinant seulement les esquisses des planches du manga, il y a forcément d'autres travaux qui viennent du film et tout cela pouvait me submerger au point que je me trouvais à y penser jour après jour. Cela pouvait même provoquer des problèmes dans la série et il n'y aurait plus grand-chose de moi après tout ça. C'est pourquoi j'ai dit à l'équipe du film que rien de tout cela ne devait jamais se reproduire. En échange, je travaillerai pour être absolument sûr que ce film soit un succès. Je leur ai dit que c'est la seule chose qu'ils pouvaient attendre de moi. La garantie que le film soit excitant.

    Cela fait 12 ans que la série a débuté et malgré le passage non négligeable du temps, la tension ne s'est jamais relâchée une fois, c'est même devenu de plus en plus passionnant. Y a-t-il un truc pour que vous gardiez vos lecteurs toujours aussi assoiffés ?

    Je ne pense pas qu'il y ait de truc. Si vous avez une série qui s'étale sur un bon nombre d'années, alors que vos lecteurs vont devenir adultes et il y a effectivement un moment où je me suis inquiété du fait qu'ils pourraient arrêter de suivre. Mais j'ai réalisé que cela signifie aussi qu'il y a des enfants qui naissent et donc si vous ne dérivez pas de votre cible et restez cohérent alors vous avez juste besoin de vous agripper à la réalité, que même si vous risquez de perdre certains lecteurs, ils seront toujours remplacé et cela m'a aidé à accepter la situation. Si vous croyez continuer à dessiner ce que vous pensez être intéressant, les lecteurs de la nouvelle génération viendront et parfois il y aura même des cas où les gens qui ont arrêté la lecture pendant un moment, reviendront.

    Pourquoi avez-vous pensé à écrire une histoire de pirates au début ? Y a-t-il un travail qui vous a influencé ?

    Je ne sais pas si elle a été une influence ou juste un point de départ, mais ce serait la série animée "Vic le Viking". Quand je l'ai vu «l 'aventure » est tout simplement devenu synonyme de « pirates » pour moi. En fait, je me demandais toujours pourquoi personne n'avait écrit de manga au sujet des pirates. Je pensais que si je dessinais ce serait des pirates et ce serait une grande aventure.

    Et comment c'est une grande aventure. Vous avez même fait voler un navire dans les airs.

    Tout est possible. Je l'ai mise en place afin que l'impossible soit la norme sur Grandline et que je puisse faire ce que je veux. La météo est dangereuse, la mer est agitée, il n'y a pas plusieurs façons pour les gens d'aller et venir comme ils pourraient en avoir envie, il n'est donc pas étrange que vous ayez ces cultures indépendantes les unes des autres. Par exemple, si je voulais écrire sur une histoire se déroulant dans une école, tout ce que j'aurais à faire c'est créer une île Ecole. Je peux suivre mon propre chemin comme il me plaît, car avec la façon dont je l'ai mise en place tout peut arriver.

    Avant de commencer votre série, aviez-vous déjà décidé de beaucoup d'éléments ?

    Non, je n'en avais pas beaucoup. Juste la fin.

    Hein ? Vous connaissez la fin ?

    Oui je la connais. Donc même si ce que je fais maintenant est absurde, tout ce que j'ai à faire c'est atteindre ce point et si je fais ça, tout ira bien.

    Je ne veux pas pousser trop loin donc je ne vais pas demander quelque chose au delà de ça, mais pensez-vous qu'il est possible d'envisager la fin d'aussi loin ?

    Comme c'est déjà décidé, il y a une partie de moi, quelque part qui veut faire vite et dessiner la dernière image, mais en réalité, je ne pense pas que ce sera avant un long moment. Parce que, je veux penser à comment je gère chacun de mes personnages de façon appropriée, je ne veux pas perdre un pion juste pour faire un mat, si j'écris dans l'instant, je me dois de le penser sur la longueur. Récemment, l'équipage a augmenté en nombre et même si un seul évènement arrive, je me retrouve voulant mettre en scène l'ensemble de leurs réactions ce qui prend encore plus de temps. Mais vouloir dépeindre l'histoire de chaque personnage comme ça c'est quelque chose que les lecteurs aiment chez moi il faut juste que je n'en fasse pas trop. Mais quand ça arrive, peu importe si ce que je fais allonge et repousse la fin.

    One Piece peut vraiment être très triste et émouvant.

    Je ne pense pas être ce genre d'auteur. Principalement parce que j'adore dessiner les scènes d'action. C'est quelque chose que j'ai découvert sur moi-même seulement après que la série ait commencé. C'est typiquement moi.

    Avez-vous déjà pleuré en écrivant ?

    Oui, absolument. Le travail des autres ne me fait pas pleurer, mais mon propre travail me fait tomber en morceaux. (Rires) Probablement parce que je pense très fort à ce que j'écris.

    Maintenant il y a 56 volumes et quand je les lis cela me surprend toujours qu'il y ait tellement de choses et il est remarquable de voir comment est tissé l'histoire avec tout cela.

    Oui, je suis assez bon n'est-ce pas ? (rires) Bien sûr, je traite l'histoire de façon très minutieuse mais quand je regarde en arrière certaines choses, je me rends compte qu'elles ont fonctionné de façon miraculeuse par elles-mêmes. Mais je ne veux décevoir personne, donc je ne parle pas vraiment de ces choses. (Rires) Je pense que c'est encore plus impressionnant que ce que j'avais réellement l'intention de dessiner.

    Quand vous dessinez y a-t-il des règles que vous vous imposez à l'égard de choses que vous ne voulez absolument pas faire ?

    J'aime dessiner des scènes de fête. Donc je ne veux rien faire qui ruinerait ce genre d'atmosphère. De plus c'est un manga pour les garçons donc je ne ferai rien sur le thème des relations amoureuses. Je reçois beaucoup de lettres de lectrices me demandant d'aborder certains types de relation, mais si c'est ce que vous voulez lire, allez lire des manga pour filles car ce n'est pas mon travail. Je ne m'inquiète pas si quelqu'un tombe amoureux de Luffy, c'est quelque chose qui n'aurait pas tant d'importance que ça. Et connaissant Luffy, je ne pense pas que ce genre de chose soit un problème. (Rires)

    Quand vous aviez 17 ans l'histoire courte WANTED! a obtenu la seconde place au Prix Tezuka. Quand avez-vous décidé d'être un auteur de manga ?

    C'est quelque chose que j'avais déjà décidé à l'âge de quatre ans. Mon père allait à l'entreprise et ma mère restait travailler à la maison et faisait les tâches ménagères. Je pensais qu'être un adulte signifiait faire ce genre de choses, mais à un moment donné, j'ai appris qu'il y avait des gens qui pouvaient vivre en faisant des dessins et il semble que je me suis effectivement dit: « C'est ce que je veux être. »

    Quand vous avez obtenu le prix Tezuka pensiez-vous déjà être un auteur de manga ?

    Il y avait certainement une partie de moi qui pensait que je pouvais instantanément aller au sommet. J'ai pris trop à la légère le manga à l'époque. Parce que j'ai été stupide. (Rires) Je pensais que si je pouvais aller aussi loin avec juste ce genre de travail, ce serait facile, donc j'ai fait le voyage à Tokyo et à partir de ce moment, tout s'est écroulé. Peu importe combien de croquis je remettais, aucun d'entre eux n'étaient approuvés. À l'époque, j'avais beaucoup trop d'orgueil sur mon propre travail, au point que lorsque je regardais celui de quelqu'un d'autre je pensais que le mien était plus intéressant. J'ai été un vrai bon à rien à l'époque. Mais, heureusement, je suis venu à réaliser combien je manquais de force et quand vous faites cela, vous pouvez enfin voir la taille du mur en face de vous tel qu'il est. Réaliser une histoire de 19 pages en seulement une semaine, l'une après l'autre, n'est pas quelque chose dont tout le monde est capable. Je crois maintenant que les gens censés être mangaka sont nés pour cela. Et ce fut un choc. Il y a des fois où je suis tombé face contre terre et où je n'étais plus capable de rien pendant une semaine.

    Avez-vous déjà pensé à renoncer à devenir un auteur de manga ?

    Oui, une fois seulement, mais je me suis dit : "Eh bien, il est encore temps pour moi de travailler dans une entreprise." Mais j'ai été sauvé par les mots de mon rédacteur en chef de l'époque. Tous les deux nous étions toujours en train de nous battre mais un jour il m'a dit : « Au cours de toutes mes années, je n'ai jamais vu un gars comme toi qui travaille si dur, mais qui ne laisse rien transparaître. » ce qui m'a fait pleurer. Juste ces quelques mots sensés m'encourager et ça m'a fait repartir de nouveau.

    Et ainsi One Piece est né et sa popularité s'est répandue comme une traînée de poudre, mais avez-vous jamais pensé que ce serait aussi gigantesque ?

    Bien sûr je savais que si je dessinais une histoire de pirates, ce serait intéressant mais je n'ai jamais pensé que cela arriverait si vite. Instantanément ça s'est propagé et explosé en popularité. Mais beaucoup de choses dans ce monde disparaissent avant même que vous les connaissiez et c'est assez effrayant quand j'y pense.

    Quel genre de choses au sujet de la série vous rend heureux ?

    C'est probablement à chaque fois que je fais une bonne histoire. Je suis une épave lorsque je ne peux pas faire mon travail. Je me retrouve à me morfondre si je ne sens pas que j'ai entièrement réalisée une bonne histoire. Plus que d'être simplement incapable de me tenir debout, si je ne pense pas que la semaine précédente s'est bien passé, je ne trouve pas de repos tant que je n'aurai pas rattrapé cela la semaine suivante. Si j'échoue dans mon manga la seule chose que je peux faire pour lui est de continuer à travailler. Je suis bizarre. (Rires) Peu importe comment ma vie privée est chargée, si je ne peux pas consacrer du temps à mon manga je finis par être frustré. C'est comme ça que je suis. Je rend les choses difficile pour moi.

    Donc, vous êtes un perfectionniste.

    Uniquement avec le manga. Je suis vraiment différent quand il s'agit de ma vie privée. Une nouvelle fois, j'ai été une seule fois chez moi cette année. Je suis occupé, il n'y a donc pas d'autres choix.

    Comment gérez-vous votre famille ?

    Ils viennent sur mon lieu de travail une fois par semaine. J'ai deux enfants et ils sont adorables. (Rires) Je veux passer plus de temps avec eux et en ce moment c'est vraiment un truc qui est difficile. Concernant le travail ce qui est « mignon » est une terrible distraction. Si c'est votre ami ou quelque chose d'autres, et que vous ne le voyez pas parce que vous êtes occupé ce n'est pas un gros problème et il va comprendre, mais pour mes enfants il y a tout simplement aucun moyen de faire comme ça.

    Par ailleurs, quels sont les personnages que vos enfants aiment ?

    Ils aiment Nami-chan. Nami-chan et Chopper. Mais fondamentalement, il semble qu'ils préfèrent "Pretty Cure". Et c'est ainsi que "Pretty Cure" a succité les flammes de la rivalité dans mon cœur. Je veux battre "Pretty Cure". (Rires)

    Je pense que l'on vous pose probablement cette question souvent, mais quel Fruit du Démon auriez-vous manger ?

    Comme tout homme en rêve, j'aurais probablement envie de manger le Suke Suke Fruit. (Rires) Mais finalement, je préférais sûrement le Hana Hana Fruit. Si j'avais de nombreuses de mains je pourrais faire mon travail beaucoup plus rapidement.

    C'est une drôle de façon de le dire, mais vous aimez vraiment votre manga n'est-ce pas ?

    Je l'aime et je sens aussi que : « Eh bien, j'ai commencé cette chose si ...», cependant, je crois que mon manga devrait toujours être du style "Passe-Temps", donc je ne veux pas caser des messages profonds dedans. J'écris mon manga comme quelque chose qui doit être facile à apprécier, quelque chose que vous pouvez lire quand vous avez du temps libre et au mieux, je serais heureux s'il pouvait aider les étudiants à se faire des amis au début de semestre. Parce que c'est ce qui peut arriver quand beaucoup de gens le lisent. Si tout le monde lit le même manga, ce n'est pas important de savoir de quelle école vous venez, si vous avez quelque chose à raconter en commun, alors il est facile de se faire des amis. Quelque chose qui est vraiment mystérieux au sujet de One Piece, c'est que depuis que les femmes le lisent aussi, j'ai effectivement reçu des lettres de fans qui me disent que leur passion mutuelle les a conduit au mariage. Donc je ne veux pas vraiment essayer de dire quelque chose sur le monde, je pense juste que la raison pour laquelle je dessine un manga, ou peut-être que vous pourriez dire qu'un de mes roles dans la vie, c'est de connecter les gens.